« Chaque faux pas de Martin est un secret entre eux deux, et elle a le sentiment d’avoir violé cette intimité. Elle ne supporte pas l’idée que quelqu’un d’autre puisse voir ce qu’il a fait de mal. »
Chez Turtle Alveston, on sait démonter un Sig Sauer et un Remington 870. On fait des tractions un couteau entre les jambes. On dort à même le plancher. On corrige à coups de tisonnier. On compte sur les ratons laveurs pour lécher et récurer les casseroles.
Et les pères violent leurs petites filles.
Il ne faut pas attendre longtemps avant de comprendre que My Absolute Darling est un roman révoltant. L’atmosphère y est moite, l’air vicié, les vies fracassées. Tout le monde sait mais personne ne veut voir. Ce trou visqueux près de Mendocino est décrit par Gabriel Tallent comme une cambrousse d’un autre temps. Nous sommes pourtant bien au XXIème siècle, et la nausée saisit le lecteur avec encore plus d’intensité.
S’il est passionnant de se laisser happer par ce type de récit viscéral, on ne peut pas en dire autant de My Absolute Darling. En tension permanente, l’œuvre se travaille et s’apprivoise. À l’image de Turtle, la narration hermétique sort progressivement de son mutisme et brise la barrière qui tient le lecteur à distance. On y pénètre à reculons, puis à tâtons avant de se laisser emporter par l’idée naissante d’une issue acceptable. Le supplice est bien trop insoutenable pour que l’on puisse se contenter de la situation. Tout ne peut pas être fichu.
« Turtle patiente à côté d’elle dans la petite cuisine en séquoia, toutes les deux assises par terre, Anna avec son vin, Turtle avec son bol de quinoa, et aucune ne se lève. Elles attendent simplement, s’observent et prennent la mesure de l’autre. »