« Bourrez les gens de données incombustibles, gorgez-les de « faits », qu’ils se sentent gavés, mais absolument « brillants » côté information. Ils auront alors l’impression de penser, ils auront le sentiment du mouvement tout en faisant du sur-place. »
Fahrenheit 451 n’a jamais résonné si fort. Servez au peuple le vide intellectuel. Divertissez-le. Qu’il fredonne l’air d’une publicité pour dentifrice sans même s’en rendre compte. Occupez le moindre espace libre de son cerveau. Gavez-le de faits, qu’il ne puisse ni les vérifier ni les assimiler. Si la télévision le rabâche en boucle, c’est qu’elle a forcément raison. Qu’il ne réfléchisse plus, qu’il consomme, qu’il soit préservé dans sa zone de confort, qu’il soit heureux ! Offrez-lui le temps de cultiver son ignorance.
Il y a un peu plus de soixante ans, Ray Bradbury publiait une virulente mise en garde contre la culture de masse et ses dérives. Un texte effrayant qui prend un peu plus de sens chaque jour. L’abrutissement de la société résulte d’un nivellement par le bas expressément souhaité par le peuple lui-même. Contre un peu de distraction, la masse se bride, se sabote et creuse joyeusement sa tombe intellectuelle. Troupeau d’ovins s’en remettant aveuglément à ceux qui acceptent courageusement de veiller à leur bien-être, ces tourmentés du savoir qui luttent ardemment pour protéger autrui des affronts de la connaissance. Ceux-là même qui détiennent le pouvoir.
Heureusement que résistent quelques hommes-livres, penseurs persécutés, marginaux opposé à la mise à mort de l’intellect et au triomphe de la nullité. Souvenirs vivants d’œuvres oubliées, convaincus qu’un futur meilleur est possible, ils portent en eux le fol espoir d’une humanité enfin capable de (se) raisonner durablement.
« Des deux côtés du fleuve était l’arbre de vie qui porte douze fruits et donne son fruit chaque mois ; et les feuilles de cet arbre sont pour guérir les nations.
Oui, se dit Montag, voilà ce que je vais retenir pour midi. Pour midi…
Quand nous atteindrons la ville. »