« Otto avait la sensation que quelque chose clochait autour de lui, comme dans les films à suspense qu’il regardait : des voisins anxieux, une repasseuse incompétente, un remède qui accroissait la force musculaire, une invasion de cafards. Une agrafeuse sortie de nulle part au fond d’un seau. Sa femme au centre de tout cela. »
Depuis qu’Ada est morte, il règne une atmosphère bien mystérieuse autour de la maison jaune. Il y a d’abord Nico, préparateur en pharmacie passionné par les notices et les effets secondaires des médicaments. Il y a Aníbal, facteur farfelu dont la méthode de distribution du courrier échappe à l’entendement. Il y a Iolanda, vieille femme fantasque dont la nouvelle repasseuse ne sait même pas repasser. Et monsieur Taniguchi, sorte de Rambo nippon coincé en 1944. Tuco, Ananias et Mendonça, cadors détraqués sauvés par la SPA improvisée de Teresa. Mariana, fascinée par les Inuits, grande amatrice de milk-shake. Et enfin Otto, persuadé qu’on lui cache un terrible secret depuis la mort de sa femme.
Drôle de Cluedo que celui mis en scène par Les Nuits de laitue. On ne connaît ni la victime, ni l’arme de crime. À dire vrai, on ne sait même pas si meurtre il y a eu. Pourtant, les voisins d’Otto ont forcément un secret. Sinon, comment expliquer les phrases interrompues, les coups d’œil en biais et l’agrafeuse dans le seau au fond du jardin ? Avec beaucoup de légèreté et de dérision, Vanessa Barbara tisse une intrigue loufoque, frôlant parfois l’absurdité la plus obscure, toujours captivante pour qui sait accepter les débordements incontrôlables de l’imagination.
Parodie désopilante et maîtrisée des polars classiques, Les Nuits de laitue dissimulent une seconde lecture plus émouvante. À travers sa farandole de personnages excentriques, Vanessa Barbara traite du deuil tout en finesse. D’une façon ou d’une autre, Nico, Teresa, monsieur Taniguchi, Aníbal, Iolanda et Mariana gravitent autour du souvenir d’Ada. Pour Otto qui n’a plus goût à rien depuis la mort de sa femme, imaginer qu’il puisse exister un mystère reliant chacun de ses voisins à sa défunte épouse permet de faire vivre ce souvenir le temps de l’acceptation.
« Le jour s’était levé, frais et humide, sans vent. Manifestement, les vêtements, lavés la veille, pesaient encore sur le fil, l’élastique du jogging et les serviettes n’avaient pas eu le temps de sécher. Malgré tout, Ada voulut sortir pour jeter un œil. Otto rangeait les derniers couverts quand elle ouvrit la porte de la cuisine en lâchant un soupir d’abattement. Elle répéta qu’elle se sentait fatiguée et s’assit sur la marche. Elle resta là, à tâcher d’enfiler ses savates en répétant qu’elle se sentait fatiguée, mais fatiguée, vachement fatiguée. »