Sukkwan Island, plongée au cœur des ténèbres


Coup de cœur, Roman / jeudi, juin 21st, 2018

« Il n’était pas sûr que son histoire soit compréhensible. Chaque événement rendait le suivant inévitable, mais l’ensemble ne faisait pas bonne impression. »

On ne ressort pas indemne de Sukkwan Island. On accède à cet îlot au large de l’Alaska en bateau ou en hydravion. Les premiers voisins vivent à une trentaine de kilomètres de là. On y trouve des ours et des saumons. Loin de tout, Sukkwan est la destination rêvée de qui souhaite se recentrer sur l’essentiel. C’est le cas de Jim, père absent qui décide d’y emmener son jeune fils, Roy. La thérapie familiale doit durer un an. Elle survit en réalité six mois tout au plus.

On devrait ressentir un sentiment de liberté immense à la lecture de Sukkwan Island. Et c’est pourtant tout l’inverse. L’apaisement apparemment cède peu à peu la place au tourment. On suffoque rapidement, cherchant à se dépêtrer d’une situation poisseuse sans vraiment comprendre à quel moment les choses ont commencé à déraper. David Vann a parfaitement su distiller son poison. Le temps de prendre conscience de l’étendue des dégâts, et le récit vire au cauchemar.

Il est difficile de porter un jugement tranché sur Sukkwan Island. David Vann a-t-il produit un bréviaire du malsain ? Une catharsis trop sérieuse ? Une provocation artistique ? Ces interrogations portent la lecture jusqu’au point final. Se produit toutefois un phénomène intéressant qui démontre que Sukkwan Island est bien plus qu’une plongée bête et méchante au cœur l’horreur. Au fil des mots, Vann perd le contrôle de ses personnages. La figure de l’écrivain disparaît, offrant à Jim et Roy le pouvoir de s’émanciper, de décider de la suite des événements, de diriger le roman. Face à cette parfaite autonomie des protagonistes, le lecteur devient le témoin non plus d’une fiction réaliste, mais celui d’une situation si sincère et authentique qu’il ne peut que voir en Sukkwan Island une grande œuvre de la littérature américaine.

Lire le dernier paragraphe du roman

« Il pensa à Roy, qui avait eu la chance de ne pas connaître pareille terreur et dont la mort avait été instantanée. Il vomit de l’eau malgré lui, en ravala, la respira encore, respira cette fin qu’elle annonçait, glacée, dure et inutile, et il sut alors que Roy l’avait aimé et que cela aurait dû lui suffire. Il n’avait simplement rien compris à temps. »