Kafka sur le rivage, à la croisée des mythes


Coup de cœur, Roman / jeudi, juillet 12th, 2018

« Quelque chose dans cette forêt évoquait une obscure magie préhistorique. Les arbres règnent sur ces bois, tout comme les créatures vivant au fond des océans règnent sur les abysses. La forêt peut me rejeter ou m’avaler, selon ses besoins. Il vaut mieux garder une crainte révérencieuse envers ces arbres. »

Avec un titre pareil, Kafka sur le rivage fait une grande promesse. Celle de renfermer un mystère si grand qu’on ne peut que se sentir impressionné. Il n’y a pourtant pas de temps à perdre en appréhension. Jeté dans le récit de but en blanc, le timide n’a plus d’autre choix que de se laisser emporter par un tourbillon de légendes et de métaphores magistralement chorégraphiées par Haruki Murakami.

Au détour d’un chapitre, on croise Œdipe et Electre luttant vainement contre leurs démons prophétiques. Orphée a plus de veine, il bénéficie cette fois-ci d’une seconde chance. Les astres shakespeariens renversent l’ordre du monde et bouleversent des personnages coupables d’avoir trop rêvé. Les esprits quittent les corps encore vivants pour quelques heures de nostalgie nocturne. Les chats ont depuis longtemps appris la langue de Boulgakov. Les mythes s’emmêlent, bouillonnent d’une énergie nouvelle.

C’est à la fois captivant et désarçonnant. Kafka sur le rivage accroche et ne lâche jamais son lecteur. Très visuel, le texte donne tant de matière à l’imagination qu’il est impossible de ne pas le voir déborder de l’objet livre qui l’emprisonne. Murakami n’est plus seulement romancier, il est conteur, poète, aède des temps modernes. Il envoûte son auditoire, délivre son récit en prenant soin de l’altérer le moins possible, préfère créer la confusion plutôt que de trahir son message et sa mission. En refusant ce sacrifice, Murakami accouche d’une œuvre à l’image de la forêt : majestueuse, tantôt accueillante, tantôt hostile. Acceptons de ne pouvoir tout saisir, le mystère n’en sera que plus merveilleux.

Lire le dernier paragraphe du roman

« – Tu devrais dormir un peu, dit le garçon nommé Corbeau. Quand tu te réveilleras, tu feras partie d’un monde nouveau.
Tu t’endors sans tarder.
Et quand tu t’es réveillé, tu faisais partie d’un monde nouveau. »