Ma Grande, lecture empoisonnée


Roman / mardi, juillet 24th, 2018

« Je perdais les verbes comme faire, penser. Être, je l’ai perdu pendant des années. Un jour, j’ai écrit un poème avec que des noms. J’avais plus rien. Le seul verbe qui venait c’était Meurt. »

Avant d’ouvrir Ma Grande, mieux vaut prendre une profonde inspiration ; la plongée promet d’être aussi longue que douloureuse. Claire Castillon en annonce la couleur dès les premières lignes. Son narrateur a tué sa femme. Il sait que c’est mal, mais il ne regrette rien.

Ma Grande, ce sont un peu moins de cent cinquante pages de torture psychologique, de frustrations et d’humiliations. Un condensé de perversion et de narcissisme si monstrueux qu’il est difficile de ne pas couper sa lecture par intermittence pour reprendre son souffle. L’atmosphère toxique du récit se nourrit à la fois des insurrections avortées du narrateur et du lecteur, fomentant leur colère, déchaînant leurs pulsions haineuses. On ne peut que se sentir furieux face au comportement inacceptable de l’une et à l’impuissance misérable de l’autre. Tout en se demandant comment la situation pourrait encore empirer.

Bien sûr, Ma Grande n’est pas exempt de maladresses et d’inexactitudes. On reprocherait à Claire Castillon quelques raccourcis qui voudraient que la victime du pervers soit en réalité victime de sa propre lâcheté ou qu’un coup de ceinturon suffise à recadrer le bourreau. Malgré tout, Ma Grande est un roman bouillonnant qui sait tenir son lecteur en apnée de la première à la dernière page. Plus vicieux encore, il empoisonne son lecteur et parvient à tirer de lui un sentiment parfaitement ignoble : celui de se sentir soulagé et satisfait de la disparition définitive de la vipère.

Lire le dernier paragraphe du roman

« Je vais bien ma grande, je vais bien en vrai. Tu as vu, j’ai retrouvé tous mes mots. J’ai des arcs-en-ciel sur la langue. Ils sont venus après la pluie. Je ne m’en sers plus pour faire des rimes. C’est un truc que tu supportais pas. Tu m’as bousillé ma musique. J’y arrive plus. Mais c’est pas grave. Ça prend du temps de s’alléger. Ça va, ça vient, c’est blanc maintenant quand je regarde devant. J’ai encore des choses à écrire, même si au fond je porte le noir. C’est un grand drap où t’es roulée. Une épaule à l’air, comme t’aimais. »