Casting sauvage, du désœuvrement à la résilience


Coup de cœur, Roman / mercredi, août 22nd, 2018

« Dans l’ignorance du sien, elle cria son propre nom pour qu’il se retourne. »

Si Hubert Haddad n’avait pas été écrivain, il aurait été peintre et cinéaste. Son Casting sauvage se déploie comme une plongée visuelle en plein cœur de Paris. Un Paris composite où se côtoient des vies disparates. C’est dans cette nébuleuse que crapahute Damya, à la recherche d’un inconnu connu et d’une centaine de figurants anonymes. On y rencontre aussi Egor, dont la Galatée s’est évaporée. Et Matheo, que Desdémone a abandonné. Trois destins chamboulés par les aléas de l’existence, s’agrippant à leur douleur et à leurs fantômes en attendant la preuve tangible que la vie continue.

Cette quête désespérée, à la fois propre et commune à tous les personnages, Haddad sait la sublimer. Les milliers de visage rencontrés chaque jour au hasard des rues et des quartiers de Paris engloutissent, noient, digèrent les individualités désorientées. Les réponses sont insaisissables. L’errance revêt un caractère toujours plus opaque. L’état de semi-conscience n’est pas loin. Le cauchemar non plus.

Pourtant, Casting Sauvage ne cède jamais à l’obscurité latente. Au contraire, les buts de Damya, d’Egor, de Matheo, des figurants, du jongleur, des passants trahissent les aspirations lumineuses de chacun. Bouleversées, parfois éclatées, toutes ses vies ne demandent qu’à se ressaisir et à aller de l’avant. Il leur faut juste un petit coup de pouce pour enclencher le processus de résilience, accepter la non-finalité de l’objectif et comprendre qu’elles n’ont « plus d’autre dessein que d’exister ». Le baisser de rideau est brutal, mais il n’en est que plus efficace.

Lire le dernier paragraphe du roman

« Le sourire triste de Damya brille à travers un voile d’eau. Elle s’aperçoit que le jeune homme frissonne dans son pyjama détrempé. Sans réfléchir, elle rattrape le bras à l’instant repoussé. La pluie sur le quai désert semble étendre jusqu’aux fronts d’immeubles la surface miroitante du canal. Damya laisse aller ses jambes. Dans sa tenue de déporté, sautant par-dessus les flaques criblées de minuscules verrines, le jongleur l’entraîne et lui souffle à l’oreille, d’une voix à peine enjouée :

Courons à l’onde en rejaillir vivant !

Et de ce ruissellement, beau cristal en éclats, recréons la mémoire et la ville en dansant. »