Aquarium, invitation au naufrage


Roman / vendredi, novembre 2nd, 2018

 Tu n’es pas encore brisée. Je vais te briser et après, on verra bien qui tu es vraiment. »

C’est un aquarium municipal tout ce qu’il y a de plus ordinaire. On y observe des poissons-grenouilles, des couteaux, un hippocampe feuille, des méduses et des poissons-fantômes. On y rencontre aussi Caitlin qui y attend sa mère chaque soir après l’école. Et ce vieil homme par qui s’abat le tsunami.

D’abord décrit comme un refuge, l’Aquarium ne conserve pas longtemps ses propriétés apaisantes. Comme toujours chez David Vann, il y a un avant et un après. Le sursis offert aux personnages s’étend sur quatre-vingts pages tout au plus. Puis intervient ce basculement spectaculaire, presque disproportionné tant il contraste avec le calme et la routine de la première partie.

On s’en veut d’avoir cru à la légèreté illusoire de ce qui révèle d’un seul coup sa monstruosité toute puissante. Libérées, la haine et la rancœur brisent le fragile équilibre de l’Aquarium, enlaidissent ce simulacre miniature et prévisible de l’océan immense et imprévisible. Le charme est rompu. Vann revient inlassablement à ses démons : le point de non-retour a été atteint.

Enfin presque. C’est avec une pointe de déception qu’on observe Vann tenter de réintégrer un peu de lumière à toute cette noirceur et de rétablir la stabilité de l’Aquarium. La rédemption serait possible. Elle apparaît pourtant incongrue après tant de cruauté, contrainte, maladroite et artificielle.

Lire le dernier paragraphe du roman

« Quand je repense à tout ce qui s’est produit ce jour-là, j’essaie de me dire qu’elle était à un moment charnière, j’essaie de me rappeler l’époque précédant l’arrivée de mon grand-père, avant qu’elle subisse une telle pression, quand nous rentrions à l’appartement, qu’elle s’affalait sur le lit et me laissait m’affaler sur elle, et que je m’accrochais à elle comme un poisson-grenouille, mains et pieds glissés sous elle, la montagne douce et puissante de son corps sous moi, et c’était comme si nous étions le monde tout entier. »