« À l’époque, eux aussi ont pesté et se sont plaints, et bientôt se sont habitués, oubliant presque qu’ils avaient un jour vécu autrement. »
C’est un refuge vers lequel se tourner naturellement après le grand effondrement. Un espace qui a résisté à la bétonisation, à la surconsommation, puis à l’épuisement des ressources, aux épidémies mortelles, à la paralysie d’un monde irraisonnable. C’est Dans la forêt que survivent Nell et Eva, subissant les conséquences du point de non retour.
Jean Hegland n’a pas attendu les marches pour le climat et la COP 24 pour alerter sur l’imminence du désastre écologique. Elle publie Dans la forêt en 1996. Vingt ans plus tard, le sujet est plus que jamais d’actualité, la prise de conscience aussi urgente. Difficile de rester insensible au destin quasi-désespéré de deux sœurs victimes de l’individualisme et de la mondialisation.
Comment est-il possible d’être passé à côté du roman ? Malgré toute l’importance du propos, malgré la sensibilité assumée du lecteur à la cause écologique, Dans la forêt résiste. S’agit-il de la forme du journal intime ? L’absence de chapitres densifie la narration déjà lourde de détails et de routines. D’une affaire de style ? Quelques facilités de langage, des paragraphes de remplissage encyclopédique, une sensiblerie récurrente justifieraient les difficultés à pénétrer le récit.
Alors, qui de la forêt ou du lecteur n’a pas su s’ouvrir à l’autre ? La question est réelle quand il aura fallu attendre les cinquante dernières pages pour se sentir enfin emporté par les événements. Un dénouement accéléré insuffisant pour effacer le goût amer de l’illusion portée en première instance par Nell. On peine à éprouver de l’empathie pour la protagoniste, à lui trouver du corps, à lui donner du sens. Restée à l’état de narratrice conceptuelle, Nell semble détachée de la catastrophe qu’elle subit alors même qu’elle s’évertue à démontrer le contraire. Dans la forêt succombe au paradoxe de son personnage principal duquel dépend pourtant toute la crédibilité du récit.
Poursuivre la lecture devient pénible : la sensation de marcher sur des œufs, la peur de questionner ce récit fragile. Ne risquerait-il pas lui-même de s’écrouler si l’on grattait un peu trop ? De dépit, on finit par accepter les déséquilibres et les incohérences. Et c’est résigné qu’on referme Dans la forêt, déçu de ne pas avoir su l’apprécier comme il aurait dû l’être.
« Le vent se lève à présent et le bébé se réveille. Bientôt nous traverserons tous les trois la clairière et entrerons dans la forêt pour de bon. »