« Je ne pensais plus trop à Nerval ces temps-ci, il s’était pourtant pendu à quarante-six ans, et Baudelaire lui aussi était mort à cet âge, ce n’est pas un âge facile. »
Houellebecq n’est plus le grand provocateur des Particules Élémentaires. Il n’est plus non plus l’orgueilleux repenti dont la maturité littéraire a porté La Carte et le Territoire. Ce début d’année amorce une troisième étape dans le processus créatif de l’écrivain. Elle s’appelle Sérotonine et elle fait le bilan.
La sérotonine, c’est cette hormone qui régule l’humeur. Produite en trop grande quantité, elle soumet les corps aux effets de l’ecsta. Pour Florent-Claude, c’est le contraire. Est-ce à cause de son prénom, de Camille, de la tour Totem ou de l’interdiction de fumer dans les chambres d’hôtel ? Toujours est-il qu’il manque de sérotonine. Conséquence : c’est la grande dépression. Le Captorix devrait aider. En contrepartie, il faut accepter de bander mou.
Avec Sérotonine, Houellebecq cherche désespéramment ses vieux démons. On y évoque avec nostalgie le naturisme et les soirées libertines, les fantasmes ultra-border et les idéaux d’étudiants en agro que la réalité des abattoirs n’a pas encore frappés, avant de sombrer définitivement dans un mal-être général.
En guise d’invitation à la débauche, l’auteur organise une grande orgie de la misère. Celle de son personnage principal, d’abord, amoureux éconduit par l’amour, mais également celle du monde dans lequel il évolue : Claire, comédienne ratée que la vie n’a pas épargnée, Aymeric, contraint de revendre les terres familiales pour garder un dixième de son exploitation agricole, Yuzu, pour qui la levrette s’exécute au propre comme au figuré. Aucun salut n’est envisageable pour ces tristes sires qu’une société liberticide et de surconsommation a usé jusqu’à la moelle. Ceux qui produisent suffisamment de sérotonine s’en sortent tant bien que mal. Les autres se suicident. C’est ce qu’on appelle la sélection naturelle.
Comme toujours chez Houellebecq, le sujet est fort. On pourra malgré tout reprocher à Sérotonine son manque de vitalité. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir disséminé quelques passages obscènes et scènes scandaleuses au fil du roman. Mais l’ensemble ne parvient jamais à atteindre la puissance qu’on en attend. Et lorsqu’il semble enfin y parvenir, tout semble encore artificiel ; l’effet est peut-être immédiat, il n’en demeure pas moins éphémère. Un peu comme un sniff de poppers.
« Et je comprends, aujourd’hui, le point de vue du Christ, son agacement répété devant l’endurcissement des cœurs : ils ont tous les signes, et ils n’en tiennent pas compte. Est-ce qu’il faut vraiment, en supplément, que je donne ma vie pour ces minables ? Est-ce qu’il faut vraiment être, à ce point, explicite ?
Il semblerait que oui. »